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Histoire des deux royaumes, la Horde d'Or

Dans le Harad lointain, coulait un fleuve majestueux, qui délimitait le Nord aride, du Sud luxuriant ;  c'était là le royaume du plus puissant et du plus cruel de tous les souverains suderons ; Taush-Âru, le Roi-Serpent.

Il avait plus de mille palais, tous dignes des Seigneurs de la Mer, et ses armées étaient innombrables comme les grains de sable du désert.

La colère de Taush-Âru monta comme la tempête, et s'abattit sur le plus grand des ports bâtis par ceux de Numenor, Umbar, la cité corsaire.


Car le Roi-Serpent voulait punir les fils de Castamir l'usurpateur, qui avaient mis aux fers Malik,  prince de sang, et enfant favori de Taush-Âru. Envoyé aux galères, jusqu'au bout du monde, le Roi-Serpent le tenait pour mort et il partit lui-même à la tête de ses légions, pour le venger.

C'est sur son char de guerre, tout couvert d'or et tiré par huit puissants taureaux de combat ; que le Numénoréen Noir Taush-Âru brisa les défenses d'Umbar, comme s'il c'eût été agi d'une fine couche de givre sous ses pas.

Epouvantés, les anciens hommes de la flotte du Gondor jettèrent les armes et s'enfuirent ; les portes de la ville  tombèrent sous les coups des Mumaks du grand Roi, et il fit trainer les trois fils de Castamir à genoux au travers de toute la ville.

Ils implorèrent le pardon de Taush-Âru, mais il n'en connaissait aucun ; il leva son épée courbe comme le croissant de lune, et se prépara à trancher le cou de ceux qui baisaient ses pieds, mais soudain...

Un bossu fendit la foule, et on le reconnut pour être Abÿl le laid, la servant favori de Malik prince de Harrad ; il était vêtu d'une riche côte de velours bleu nuit, d'une culotte de cuir épaisse, et de chausses neuves ; il s'inclina et toucha le sol du front trois fois aux pieds de Taush-Âru.


« Grand Roi, je te salue! Au nom d'Araphor, souverain d'Arthedain, et d'Eldacar, souverain du Gondor ; car ils tiennent ton fils en grande estime pour ses exploits nombreux dans le Nord. »


Et Taush-Âru fut aussi curieux que fier des exploits de Malik ; sachant son fils vivant, il appela son boureau et ordonna que l'on brûle la plante des pieds des trois fils de Castamir, avant de les rouer de coups de bâton en place publique, car il était d'humeur généreuse et cela était rare.


« Bossu, dis-moi tout du destin de Malik le blond, et n'omet rien car tel est le plaisir de Taush-Âru. »


Alors Abÿl conta à tous comment Malik brisa ses chaînes et défit le serpent des océans, ainsi il fut nommé Nardu-Inzil. En son coeur, Taush-Âru songea...


C'est prophétie, car j'ai depuis longtemps prévu qu'il sera celui qui me tuera ; et alors sous son règne, Harad sera unifié et même le continent perdu ne pourra le surpasser en richesse et en gloire.


Abÿl conta ensuite comment Malik devint l'ami des elfes d'Edhellond et qu'il apprit d'eux les chants anciens ; cela plongea Taush-Âru dans une sombre inquiétude, car comme les Rebelles de jadis, il haïssait et jalousait les immortels.


Ah, comme je suis maudit! Le sang d'Elros a parlé, les elfes ont enseigné à mon fils les mensonges des Valars!


Pour conclure, Abÿl narra les aventures magiques de Nardu-Inzil et comment grâce aux pierres de vision il avait obtenu la sagesse pour utiliser Atalante, complainte du pays perdu, et épée à laquelle il était destiné. Tout ceci ne plut guère à Taush-Âru, car si les exploits de son fils étaient grands, ils servaient les royaumes de l'Ouest. Il réfléchit donc et ordonna au bossu de lui prodiguer son conseil.


« Abÿl, tu servis jadis la mère de mon fils, et tu connais son coeur mieux qu'aucun de nous ; dis-moi comment puis-je faire revenir la fleur des guerriers du Harad auprès de moi ? »

« Seigneur, ton fils est sans faille, et il a prêté serment d'aller guerroyer sous la bannière d'Araphor dans l'Ouest, Mais j'ai filé bon vent et sa route sera longue ; nombre d'aventures retarderont sa venue depuis la cité blanche de Minas Tirith, jusqu'aux plaines de Fornost, où le roi d'Arthedain tient sa cour. Si tu voulais rappeller son coeur vers la terre de ses ancêtre, alors tu enverrai à sa rencontre la princesse Agybraël, qui fut sa nourrice ; car seul le chant magique, qu'elle appris de la mère de Malik, sait le calmer. Alors, une puissante troupe de guerriers saurait bien maîtriser le prince, et l'amener devant toi.»


Et le plan était rusé, seule la magie saurait avoir raison de Nardu-Inzil aujourd'hui qu'il avait uni son destin à celui de la puissante épée Atalante ; Taush-Âru comprit pourquoi son fils avait si longtemps toléré  les irrévérences du vilain bossu.

Le Roi-Serpent se tourna vers un de ses généraux, celui le plus craint de tout le Harrad et qui avait le plus bataillé à ses côtés, car il ne connaissait pas la défaite et sa nature humble d'esclave lui évitait de causer tout déplaisir à son Roi.

Il se nommait Thâm le Suderon, sa poitrine était large comme celle d'un boeuf, ses muscles faits de l'airain des statues, et sa peau noire luisait comme l'huile du désert. Il avait des traits ronds et puissants, ne s'habillait que d'un pagne et de quelques bijoux d'or, car il ne craignait ni la flèche, ni l'épée.


« Puissant Thâm, va loin dans le désert et grimpe au mont désolé ; là, tu trouvera un temple plus haut que tous les nids d'aigles, et alors, Agybraël t'apparaîtra ; tu la ramènera ensuite jusqu'à moi. »


Et sans discuter, Thâm entreprit l'aventure ; avec pour seule monture ses deux pieds lacés dans des sandales de cuir, et pour toute arme, une hache qu'un homme aurait eu du mal à manier de ses deux mains ; mais il courrait ainsi dans le désert, sans connaître ni fatigue ni soif, et aucun animal n'allait si vite que lui.

Il escalada la cruelle montagne, subit stoïquement l'assaut des rapaces, et arriva dans un temple sans toit, comme il n'y en eut jadis qu'un au sommet du Meneltarma. Là, comme l'avait prédit le Roi, Agybraël apparut parmi les volutes d'encens ; alors, il toucha de par trois fois le sol avec son front.


« Je t'apporte le salut du Roi ton père, son désir est que tu me suives jusqu'à lui, puis que nous allions vers l'Ouest afin de ramener ton demi-frère Malik dans le Royaume du Fleuve. »


Et la princesse leva la main, il sembla alors à Thâm que le temps s'arrêtait, car il n'avait jamais contemplé spectacle aussi beau que la dame drapée de soie carmine. Son port était haut, ses traits doux comme la courbe de l'olive ; ses prunelles obscures comme la nuit semblaient sur le point d'avaler l'âme de celui qui y plongeait son regard ; les parfums entêtants de la fleur de pavot, de la canelle et du safran, émanaient de sa longue chevelure bouclée en enflammant les sens. Elle était du sang de Taush-Âru, et nul ne lui aurait dénié le titre de Numénoréenne noire.


« Conduis-moi, esclave ; car il n'est rien que j'aimerai tant que ramener mon frère dans son royaume, je fis de lui un homme, et j'entend bien faire de cet homme le plus grand des rois de la terre. »


Et Thâm obéit, car c'était là quelque chose à quoi il excellait ; il mena donc la princesse jusqu'à Umbar, occupée par les armées de Taush-Âru. Mais pendant ce temps, Taush-Âru avait réfléchi à son plan ; il ne désirait pas confier l'expédition à Abÿl le laid, qu'il suspectait grandement de quelque fourberie au service de la mère de Malik ; il lui fallait pourtant un homme ayant voyagé et connaissant l'Ouest. Il fit ainsi torturer quelques corsaires, et on lui porta le nom du capitaine le plus dévoyé et corrompu de tout Umbar.

L'homme s'appellait Ornath le bâtard, car il était fils illégitime de Castamir, le capitaine des vaisseaux; seul le sentiment paternel de ce dernier, lui vallut un commandement et la charge d'un navire du Gondor. Ornath avait tout de l'homme vulgaire, il ne soignait pas les longs cheveux gras qui lui tombaient dans le cou, et il faisait de l'esprit quand il aurait du se taire ; en le faisant paraître devant lui, Taush-Âru eut bien envie de le faire empaler à plusieurs reprises. Mais la lâcheté d'Ornath était grande, et il savait parfois faire s'incliner son orgueil fou face à un danger de mort ; à genoux devant le trône de Taush-Âru, il enroba ses mots de miel et se fit le plus humble de ses sujets.


« Grand Roi, je connais la cité de Tharbâd et pourrait mener la compagnie de la princesse loin en amont des Flots Gris ; j'ai un navire rapide et nous serons là-bas bien avant Nardu-Inzil. »

« Ainsi tu fera, et gardes-toi bien de me desservir en quelque chose que ce soit, ou mes guerriers te trancheront la tête. Voici pour tes dépenses, assures-toi que la princesse Agybraël ne manque de rien. »


Et il lui confia un trésor, fait d'or et de joyaux ; assez pour payer la rançon de douze rois, le corsaire n'en crut pas ses yeux... Et dans son esprit germa le dessein de le garder pour lui, mais il l'oublia aussi tôt qu'il posa les yeux sur la princesse, car elle était un trésor plus grand encore pour qui la possèderait.


Quand nous serons au loin, il me sera aisé de berner ces idiots.


Aussi, dans le secret de son coeur noir, Ornath dressa-t-il des plans pour se faire Roi en Cardolan. Mais Thâm le silencieux gardait le bâtard à l'oeuil, et il choisit parmi ses plus fidèles et ses plus farouches Haradrims pour le suivre et former la garde de la princesse ; il avisa Abÿl et lui fit signe.


« Bossu nous allons prendre la mer, viens avec nous retrouver ton maître. »


Et comme ils étaient seuls et hors d'atteinte d'oreilles indiscrètes, Abÿl lui tînt ce discours.


« Puissant Thâm, je suis aujourd'hui par la grâce de Nardu-Inzil, un homme libre ; aussi vais-je où il me plaît d'aller, quand il me plaît. Je te souhaite l'amitié des Valars dans ta quête, et je te prédis qu'avant peu, nous nous retrouverons. »


Puis le bossu disparut dans la foule des quais, laissant le guerrier Haradrim songeur.


[---]


Le voyage sur la nef d'Ornath fut rapide, et bien que les gens du Harad le haïssent, probablement béni par Ulmö lui-même ; ils atteignirent le delta du fleuve que les elfes nomment Gwathlo, le Flot Gris.

Tharbâd n'était plus alors que l'ombre de la cité de jadis ; l'Angmar et la peste avaient su venir à bout du royaume de Cardolan. Sur les ruines de la grande route du Sud, quelques centaines d'âmes, et pas parmi les plus charitables, vivaient dans la violence, pillant les maisons désertées. Ils eurent grande frayeur à voir débarquer la compagnie du Harad, et Ornath su que c'était là sa chance ; il quitta le campement de nuit, et distribua or et joyaux parmi les bandits pour en faire ses partisans. Comme les Haradrims ne parlaient pas la langue du Nord, il servit d'interprète, et il se fit ainsi passer pour un homme sage ayant l'amour des foules.

Mais même ainsi, il ne pouvait disposer librement du trésor ou de la princesse, l'encombrant  guerrier nommé Thâm, le suivait avec des yeux de faucon. Il imagina donc un plan, pour se débarasser de lui ; il marcha à sa rencontre, et feignit la plus grande anxiété.


« Puissant guerrier, je crains que nous ne manquions au Roi ; je m'apperçois bien aujourd'hui que le vilain bossu ne vous a pas tout dit de son savoir des royaumes du Nord, s'il suit la route, Nardu-Inzil viendra à notre rencontre ; mais il existe une voie secrète à travers les montagnes, chez les nains de la Moria ; s'il la prend, alors il tombera sous l'emprise des elfes dont le seigneur est Elrond, qui corrompra la lignée de son frère pour faire du Prince son esclave. »


Thâm se renseigna, car il apprenait peu à peu le language des hommes du Nord, et il s'averra que le bâtard était dans le vrai ; or rien n'aurait tant mécontenté Taush-Âru que son fils tomba sous la coupe d'Elrond ; mais il ne pouvait laisser la princesse seule avec le fourbe corsaire.


« Soit, j'irai à la rencontre des nains pour m'enquérir de notre seigneur ; mais je laisserai ici mes guerriers car je n'ai pas besoin de leur aide. »


Ornath se frotta les mains, car il n'aurait aucun mal à déjouer la surveillance des Haradrims, une fois que leur capitaine serait parti. Et il en fut ainsi, Thâm fit ses adieux à la princesse, et emprunta la route menant au royaume de Cavenain.

Le corsaire fit alors édifier une tour, et conseilla à la princesse d'y monter, pour que son chant soit porté par les vents ; elle grimpa les marches, et Ornath referma traîtreusement la porte de la tour, faisant d'elle sa prisonnière. Les Haradrims se postèrent autour, mais ne décelèrent rien de la tromperie, ayant vu la princesse entrer de son plein gré.


Plus à l'est, il arriva que Nardu-Inzil, chevalier d'Arthedain, entra dans le pays désert de Cardolan ; il cheminait seul depuis le cercle d'Agrenost, où il avait séjourné chez les Varyari Palantirion, et nulle aventure ne lui était arrivé, aussi connaissait-il l'ennui.

Un soir, qu'il prenait du repos à l'abri d'un rocher de la lande, Malik entendit un murmure dans le vent, comme le chant lointain qui lui rappellait son pays et la mère à laquelle il avait été arraché enfant. Ses yeux, ayant l'acuité de ceux des Seigneurs de la Mer, lui révélèrent alors dans la distance les lumières d'une ville ; il fut bien aise de ce spectacle, et fort désireux de trouver quelque compagnie ou aventure, chevaucha dans la nuit.

Arrivé à l'entrée des ruines de Tharbâd, il fut quelque peu déçu, mais le chant était toujours là ; il écoutait rêveur, quand une bande de coupe-jarrêts s'en prit à lui. Le chevalier était comme transporté dans un autre monde, le premier bandit lui vola donc son cheval, sans qu'il réagit ; le second bandit lui prit son bouclier, sans plus de dommage ; et le troisième s'enhardit au point de porter la main sur l'épée du chevalier, mais là...

Nardu-Inzil fut tiré de sa transe, le chant des vents étant supplanté par le chant puissant d'Atalante ; il considéra le brigand, et dans une grande colère s'empara de lui avant de lui briser l'échine sur son genou ; les autres s'enfuirent dans la nuit, pris de frayeur.


« Me voici sans monture, et sans bouclier... Quelle triste aventure ; et tout ceci à cause de ce chant mélancolique qui m'a ensorcelé. Je dois en trouver la cause, et tant que je tiendrai Atalante hors du fourreau, ce maléfice n'aura pas de prise sur moi. »


Malik avança ainsi l'épée au poing, et ceux qui le virent furent épouvantés, croyant qu'il venait au massacre ; tous les bandits s'enfuirent, et le chevalier put ainsi gagner la haute tour. Les Haradrims le reconnurent et s'inclinèrent sur son passage, il finit ainsi par pénétrer dans la grande salle où le traître Ornath profitait du chant de sa captive.

Le corsaire se vit mort, aussi essaya-t-il de s'attirer l'amitié de Nardu-Inzil en lui faisant bon accueil.


« Bienvenue à toi noble seigneur d'Arthedain! »


Et il invita aussitôt Malik à prendre la place d'honneur à sa table, et lui servit nourriture et vins à profusion. Après plusieurs jours de chevauchée, Malik était bien aise de l'hospitalité de cet homme étrange ; car bien que paré d'une robe bodée d'or, et d'un chapeau prétentieux à plume de paon, sa physionomie était si ingrate qu'on ne pouvait éprouver d'estime à son égard.


C'est sûrement là un riche marchand, j'ai bien de la chance d'avoir trouvé son logis.


Mais, Ornath, tout habile menteur qu'il fut, ne pouvait qu'être effrayé, car le chevalier ne lâchait pas sa terrible épée.


« Seigneur, crains-tu d'être agressé en mon logis? Je t'assure qu'il n'en sera rien, tu pourrai ranger ton arme au fourreau, et ainsi être installé plus confortablement, car elle semble peser son poids. »

« Bourgeois, laisse aux gens d'armes le soin de leur épée, car je vois que tu n'en portes pas et ne peux donc comprendre les choses de leur usage. J'ai tantôt été agressé par des brigands, qui m'ont dérobé mon cheval et mon bouclier car je rêvassais comme tu le suggères ; à présent, je ne saurai plus être surpris. »


Et Ornath fut insulté, bien qu'il ne portait pas l'épée, préférant la sûreté de l'arc et du poignard ; mais il joua finement afin de se venger.


« Peut-être pourrai-je te montrer un spectacle qui te fera changer d'avis. »


Il grimpa les marches jusqu'au sommet de la tour, et sous la menace de sa lame, fit descendre la princesse ; Malik fut saisi à sa vue, et se dressa, mais Ornath se fit plus pressant avec son poignard.


« Tiens-toi tranquille Queni, sinon je passerai ma lame au travers de cette donzelle. »


Mais cela n'arracha qu'un rire méprisant à Agybraël.


« Lâche, tu connais bien peu mon frère si tu penses que cela l'arrêtera ; car il n'aime personne d'autre que lui-même, et sa cruauté n'a d'égale à celle du terrible Taush-Âru. Il préfèrera me passer lui-même sa lame au travers du corps, et te fera ensuite périr dans d'interminables tortures. »


Mais s'il était vrai que Malik eut autrefois agi de la sorte, les manières que lui avaient enseigné le vieux chevalier, l'avaient changé; il hésita, honteux.

Ornath le bâtard savourait son triomphe, mais il fut de courte durée ; soudain, derrière-lui, la forte porte de bois vola en éclats et Thâm le Suderon en jaillit prestement, il s'empara du corsaire, et le précipita dans le vide! Son corps se brisa, épars sur le pavé ; et ceux-là même qu'il avait soudoyés pour être ses amis, se réjouirent de son infortune, car il n'était l'ami de personne.

Le puissant guerrier s'agenouilla et toucha le sol de par trois fois avec son front.


« Je revenais du pays des nains sous la montagne, lorsque j'ai croisé un brigand sur un cheval, il avait en croupe un second brigand qui portait un bouclier bleu de nuit orné d'une fleur blanche ; reconnaissant les couleurs de Nardu-Inzil telles que les avaient décrites Abÿl le bossu, je les ai estourbis, puis ai chevauché jusqu'ici avec la plus grande hâte. »


Et Thâm ne doutait pas qu'il serait puni avec grande sévérité pour avoir laissé la princesse à la merci  d'Ornath le bâtard ; d'ailleurs, le prince Malik s'avança sur lui, l'épée au clair ; mais ses paroles comme ses gestes prirent le grand suderon par surprise.


« Relèves-toi, mon ami ; car aujourd'hui j'ai contracté une grande dette envers-toi, tu as sauvé ma soeur et l'honneur de notre lignée. »


Et Nardu-Inzil apposa le plat de sa lame sur les épaules de l'esclave, le redressa, puis lui donna l'accolade avec châleur ; le suderon en fut tout boulversé.


« Mais un prince n'a pas d'amis! »

« Un chevalier a des frères d'armes, et il me brûle de te présenter à mon Roi pour qu'il connaisse tout de tes grands mérites! »


Et les mots généreux de Malik touchèrent la noble Agybraël comme le puissant Thâm, ils s'installèrent tous trois et devisèrent longtemps ; le prince du Harad ne leur cachant rien des merveilleuses coutumes du Nord. Dès lors, il n'importa plus à Thâm que d'entrer dans la fraternité des chevaliers ; et Agybraël redoubla de désir de faire de Malik le grand Roi du Haradwaith, car sous son règne tous y seraient heureux sauf les méchants.


[---]


Thâm quitta sa dame et son seigneur tard dans la nuit pour aller parler à ses guerriers, et ainsi Malik resta seul avec sa demi-soeur, qui le pria d'amour sur le champ ; mais les coutumes du Nord, ne furent pas pour lui faciliter la tâche.


« Dame, s'il est vrai qu'au Harad tu m'instruisit des choses de l'amour ; ici de telles unions ne peuvent se concevoir, car nous sommes du même sang par notre père, et c'est un crime contre les Valars que de s'appareiller entre si proches parents. Je suis encore peu au fait des choses de la courtoisie amoureuse, tout comme du sentiment lui-même, car comme tu le dis jadis ; je n'ai d'amour que pour moi-même, et celui des femmes se dérobe encore à mon coeur, autrement que pour les jeux des amants. »


Mais Agybraël ne comprenait pas de telles restrictions, et elle n'avait pas d'amour pour les Valars, comme tous les numénoréens noirs ; elle fut amère et en son coeur ne s'avoua pas vaincue.


C'est le poison des elfes qui embrûme son esprit, mais je connais moi aussi bien des charmes et ma magie n'est pas sans force.


Aussi entonna-t-elle le chant secret, et tant que sa voix porta, Malik fut en son pouvoir ; elle tira ainsi de lui tout le plaisir et les promesses qui lui plurent, jouissant de ce pouvoir jusqu'à ce que meurent les chandelles.


Le lendemain, Thâm vint trouver sa dame et son seigneur.


« Mes guerriers ont découvert, que le traître Ornath a brûlé secrètement la nef qui nous amena jusqu'ici ; nous ne pouvons continuer notre voyage par la voie des flots. »


Et s'il désirait aller jusqu'en Arthedain, il n'en dit rien ; car la princesse était en rage, et son dessein était de s'en retourner au Royaume du Fleuve.


« Vois Nardu-Inzil comme les Valars se dressent à présent contre nous ; ils feront tout pour t'empêcher d'accomplir ton destin, qui est de devenir le plus grand souverain des hommes de ce temps! »


Mais son demi-frère ne l'entendait pas de cette oreille.


« Ma soeur, calme-toi! Les Valars ne sont pas mes ennemis, et bien au contraire, ils m'assistent quand je perds mon chemin en ce monde. Quel bien ferai-je à mon peuple en tant que souverain, si je n'apprenais d'abord à le servir? Car c'est là le rôle d'un roi, il est le guide et le protecteur du peuple. Nous irons en Arthedain, car je veux apprendre des meilleurs souverains de ce monde. »


Et si elle put être tentée d'infléchir son avis par magie, elle n'eut pas le temps de le faire ; et très outrée, entendit Thâm user de sa liberté nouvelle, pour dévoiler à sa pensée.


« Où mon prince ira, j'irai ; et je lui donnerai aussi ce conseil, j'ai passé du temps parmi les nains de Khazad-Dûm, comme ils nomment leur surprenant royaume ; et nous liant d'amitié, ils m'ont conté que le plus sage souverain de ce côté-ci des montagnes, n'est autre qu'Elrond dont la demeure est dans la vallée cachée d'Imladris. »


Et le coeur de Malik chanta soudain.


« Oui, du temps que j'ai passé parmi les elfes d'Edhellond, ils n'ont eu de cesse de me vanter la sagesse et la générosité du seigneur Elrond ; il est notre lointain parent de par Elros son frère, et sans mentir, comme il me plairait d'être son ami! »

« Mon Prince, le royaume sous la montagne n'est guère loin, rendons visite aux nains et demandons leur notre chemin. »

« Vaillant Thâm, comme ton conseil est précieux! Nous ferons ainsi que tu le dis. »


Et avec l'enthousiasme de deux enfants, les guerriers du Harad contemplèrent leur dessein d'aller trouver Elrond le semi-elfe. Mais tout cela n'était pas pour faire le bonheur de la princesse Agybraël, car elle savait bien que le pouvoir d'Elrond démasquerait ses sortilèges, et l'empêcherait de ramener son frère en Haradwaith.


Malik prit les choses en main et descendit s'adresser aux cents guerriers du Harad.


« Vous avez été fidèles et vaillants, et ces qualités, une seigneur les chéris chez ses vassaux ; il est juste que vous receviez récompense pour votre grande loyauté à ma lignée, aussi je fais de vous en ce jour des hommes libres! »


Nardu-Inzil distribua le grand trésor du Roi Serpent, qu'Ornath avait gardé pour lui, en parts égales à chaque guerrier ; chacun avait assez pour mener une vie de grand seigneur. Ils abandonnèrent la banière noire au serpent blanc de Taush-Âru, mais aucun ne s'en alla, ce qui interloqua le jeune chevalier d'Arthedain. Un des guerriers, Barrah aux anneaux d'acier, s'adressa alors à son seigneur.


« Seigneur, nous sommes venus ici en esclavage, c'est le pouvoir de la tyranie et de la peur qui nous a toujours fait combattre sous la bannière du Roi-Serpent ; tu nous récompenses bien injustement pour pareille lâcheté. Le puissant Thâm nous a parlé des coutumes de ce royaume, aussi c'est en hommes-libres que nous rejoignons ton service, car tu es le meilleur seigneur que nous ayons connu. Pour toi nous combattrons avec courage, et plus avec cruauté ; et nous embrasserons ton espérance en les Valars qui vivent au delà du monde. »


Ainsi les cent guerriers du Harad prirent-ils les couleurs de Nardu-Inzil, levant haut sa banière bleu de nuit à la fleur blanche. Malik fut très ému et prêta serment en retour.


« A compter de ce jour, je vous tiens tous pour mes frères, comme l'est le puissant Thâm ; ensemble nous apporterons la justice là où sévissent les méchants, et la lumière de l'Ouest se reflètera sur nos armes d'or face à l'Ennemi! En avant Horde d'Or, fleur des guerriers du Harad! »


Et ainsi, la puissante Horde d'Or se mit en branle vers l'Est et la Moria ; les ombres s'enfuirent sur son passage, car la vue d'une compagnie de cent guerriers à la peau noire d'ébène, couverts d'or comme autant de seigneurs, à l'air aussi féroce que résolu, et maniant la hache avec aisance ; avait de quoi porter la peur dans le coeur des ennemis.

Ils furent acueillis avec amitié par les nains, qui tenaient déjà Thâm en grande estime ; mais ils furent surtout impressionnés par une aussi riche compagnie.


Assurément, le seigneur qui réunit d'aussi riches et puissants guerriers par amour de lui, ne peut-être qu'un très grand parmi les hommes.


Et la rencontre de Nardu-Inzil ne les détrompa pas ; car son rire était puissant, raisonnant à travers les halls de pierre sans fin, et il ne rechignait jamais à prendre les armes pour aider ses hôtes contres les orques, quel que fut le danger. Une amitié solide s'installa entre les hommes du Harad et les nains de Khazad-Dûm, et ils échangèrent beaucoup de présents et de promesses.


Ainsi la Horde d'Or quitta un jour la demeure des nains, arborant de terrifiants masques de guerre à l'image du faucon, du taureau, du chacal ou du mumak, et avec des haches bien plus tranchantes, et des côtes toutes dorées.

Ils marchèrent au Nord et remontèrent le cours du Bruinen, à la recherche de la dernière maison simple ; et en route, ils tranchèrent les bras des trolls comme Hùrin à la bataille de Nirnaeth Arnoediad.

Leur avancée était terrifiante, car ils martellaient le sol comme le tonnerre, avec un rythme obscur, et leur chant profond promettait la mort à l'ennemi qui se dresserait sur leur chemin. Les hommes de Dùn fuirent loin dans les montagnes à leur approche, car à leurs yeux, ces créatures n'avaient rien des hommes avec leur peau noire et leurs faces effrayantes.

Mais leur route ne fut pas sans détours, et les plus grands furent dus à la magie de la princesse Agybraël ; car elle ne souhaitait pas être l'hôte des elfes, pas plus qu'aller toujours plus avant au Nord ou à l'Ouest.

Ainsi, à chaque étape de leur voyage, usa-t-elle de de son chant magique pour infléchir la volonté de Malik Nardu Inzil, le menant docile jusqu'à sa couche ; et là elle lui faisait oublier ses desseins de mener la Horde d'Or jusqu'à Fondcombe.

Heureusement, le vaillant Thâm veillait, et si les coûtmes du Harad ne portaient pas à le faire se révolter contre le fait que son prince partagea la couche de sa demi-soeur, il fut surpris de l'humeur changeante de son seigneur : car il semblait tout oublier de sa mission, tant qu'il n'avait pas tiré son épée du foureau. Alors, seulement, revenait le chevalier d'Arthedain qu'il estimait tant. Un jour, il s'ouvrit de ce trouble à son seigneur.


« Grand Prince, tu m'as instruit des façons des chevaliers du Nord, et je suis fort surpris... Car pas plus tard qu'hier, tu étais intime avec ta soeur la belle Agrybaël comme l'est un homme avec une femme pour laquelle il est pris d'amour ; or, tu m'as bien dit que nulle relation de la sorte ne saurait exister en un chevalier et une dame qui est sa proche parente. »


Et Malik fut stuppéfait, car il n'avait pas souvenir d'une telle conduite.


« Assurément Thâm, tu es honnête homme ; mais j'ai dans l'impression que je fus toujours fraternel avec la princesse, tout autant que nous ne nous sommes jamais détournés de notre route vers la vallée perdue d'Imladris. »


Et Thâm fut fort triste de causer alarme et peine à son seigneur, aussi lui donna-t-il ce fidèle conseil.


« Seigneur, vérifie par toi-même mes dires ; accroche une ficelle à ton poignet qui le liera avec le pommeau de ton épée ; et ce soir si les événements que je t'ai contés se reproduisent, ton esprit sera tout à toi. »


Ainsi fit donc Malik, il lia un fil fin allant de son poignet jusqu'àu pommeau de son épée, et attendit que vienne la nuit. Alors, Agybraël entonna son chant, et il marcha jusqu'à sa tente, puis obéissant à son moindre désir, il baisa son visage, et entreprit de se défaire de ses habits. Mais lorsqu'il se défit de son heaubert, sa main monta si haut, qu'Atalante sortit du fourreau ; alors le chant du pays perdu brisa l'enchantement de la princesse, et Malik retrouva tous ses esprits, bien surpris de se retrouver en telle posture, en pareille compagnie.


« Hélas, ma soeur! Le fidèle Thâm disait donc vrai. Vous abusez de mon amitié depuis plusieurs nuits déjà, et essayez de me détourner de ma quête sacrée. »

Agybraël fut fort dolente, car elle aimait Malik et souffrit de s'abaisser à son regard ; mais malgré la miséricorde propre aux gens du Nord, elle sut que son demi-frère ne l'aimerait jamais plus comme il le faisait naguère.


« Tu me juges fort durement, Malik ; mais ce sont ces terres et l'éloignement de notre royaume qui jouent des tours à ton esprit, car rapelle-toi, je fus celle de qui tu tira ton premier plaisir, et cela jamais aucun homme ne l'oublie. Dis-moi en toute honnêteté, des femmes qui se livrèrent à toi par la suite, y en eut-il aucune que tu ne compara pas à moi? »

« Ma soeur, je n'oublie pas l'homme que je fus en Haradwaith ; mais ceci est un temps passé. Et si toutes les femmes que je pu posséder furent comparées à toi, ce ne fut jamais dans l'idée que tu serai la première comme la dernière de celles qui partageraient ma couche. Jamais, au grand jamais, je ne te prierai d'amour. »


Et les mots du prince blessèrent sa demi-soeur plus profondément qu'une flèche ; elle crut perdre la raison, et mobilisa tout son pouvoir en cet instant funeste pour lui jeter un sort.


« Nardu-Inzil, tu regrettera ce jour maudit! Car je te prédis que tes amours seront entachés de malheur désormais. Je t'ai aimé plus qu'aucun autre, et jamais ne trouvera-tu pareille dévotion à ton service. Je conspirerai à ta perte, et quand tu sera bien misérable, tu te trainera à mes pieds comme tu m'as humiliée aujourd'hui. »


La princesse moucha le feu d'un revers de sa manche, puis disparut dans la nuit sans qu'aucun de ceux qui se lancèrent par la suite à se recherche, ne puissent la trouver.


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La Horde d'Or reprit sa route le lendemain, mais son seigneur était bien sombre, car il savait qu'il n'en avait pas fini de sa quereller avec la sorcière Agybraël du Harad.

Elrond eut très tôt connaissance de l'arrivée de Nardu-Inzil et de ses compagnons en son domaine, mais il devait juger de la droiture de ces hommes, car ils avaient tous par le passé été de cruels assassins. Il leur envoya donc un de ses gens des plus habiles, le barde Linternil qui connaissait aussi bien les bêtes que les enfants d'llùvatar, et parlait la langue des plantes comme celle de la pierre.

Il prit d'abord la forme d'un cerf merveilleux, et s'approcha de la compagnie ; la tentation d'un peu de venaison était grande, mais les guerriers demandèrent conseil à leur seigneur.


« Vois, Fleur du Harad, comme cette bête est vive et grasse, elle nous ferait assurément un bon repas. »

« Mes amis, le vieux chevalier qui m'apprit jadis les coutumes du Nord me dit ceci ; il n'est pas courtois de chasser sur les terres d'un autre seigneur, car c'est braconnage. Nous ferons donc maigre chair jusqu'à recevoir l'hospitalité du seigneur Elrond. »


Ainsi, la Horde d'Or passa-t-elle son chemin.

Linternil revînt à eux plus loin sur leur route, sous la forme d'un champ de très belles fleurs ; les Haradrims furent émerveillés, mais il s'avéra vite que contourner l'obstacle prendrait du temps et amènerait la nuit avant l'issue de leur voyage ; ils se tournèrent donc vers Nardu-Inzil en quête d'un conseil.


« Seigneur, si nous ne nous hâtons pas ; nous devrons camper ou bien cheminer de nuit jusqu'à Imladris, que devons-nous faire à ton avis? »

« Amis, vous avez comme moi placé votre espérance en les Valars, et ceci est un présent de Yavanna, à n'en pas douter ; piétineriez-vous le présent d'une reine? »


Et tous convînrent que non, aussi la Horde contourna-t-elle le champ de fleurs,

La nuit tomba et Linternil prit alors la forme d'un bon feu au milieu d'une clairière accueillante, les Haradrims ressentaient fatigue et il eut été aisé de camper ici ; mais ils demandèrent tout de même à leur seigneur ce qu'il souhaitait faire.


« Grand Prince, vois comme ce feu est vif et l'endroit accueillant ; ne devrions-nous pas nous arrêter ici plutôt que de cheminer dans ces terres escarpées la nuit? »

« Mes amis, je fais appel à votre courage comme à votre loyauté, et je sais que vous ne manquez ni de l'un, ni de l'autre. Nous avons prêté serment d'aller jusqu'à la demeure d'Elrond  le semi-elfe, nous ne sommes sûrement plus loin et il serait bien impoli de faire attendre pareil seigneur ; n'en convenez-vous pas? »


Et alors les coeurs s'enhardirent, et d'aucun ne voulut plus poser ses affaires. Linternil fut fort satisfait des hommes et retrouva alors sa forme originale, avec stuppeur, les haradrims le virent sortir des flammes et marcher par devant eux.


« Salut à vous, hommes du Harad ; je suis Linternil, venu de Fondcombe et je vous présente l'amitié de mon seigneur Elrond. Il vous attend avec grande impatience, suivez-moi et je vous guiderai par les chemins secrets qui mènent à son domaine. »


Ce fut avec grande liesse, que la plupart firent la connaissance du seigneur Linternil, car il était le premier eldar qu'ils vîrent, et pas le moins beau ni le moins noble ; son chant était merveille, sa compagnie plus réconfortante que toutes les flambées du monde.

Ils cheminèrent ainsi jusqu'à entendre le grondement des chutes dans la vallée secrète, et les Haradrims ouvrirent grands les yeux devant le spectacle qui s'offrait à eux ; Fondcombe, dans toute sa majesté, s'étalait à leurs pieds.
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