Histoire des deux royaumes, Malik Nardu-Inzil
Un jour, un rôdeur me récita quelques vers d’un poème dont l’origine est désormais perdue, cela disait :
Haradwaith, terre où les étoiles sont étrangères…Et il est vrai, que le Harad est une terre gigantesque et méconnue ; les hommes y ont la peau brûlée par le soleil, les épices y valent le prix de l’or.
C’est donc dans un des nombreux royaumes qui composaient la mosaïque de cette terre lointaine, que débute notre histoire.
[---]
Il était un royaume, situé à cheval entre le Harad du Nord, avec ses déserts grands comme des océans ; et le Harad du Sud, où les forêts sont si profondes, épaisses et humides que même les arraignées géantes n’osent s’y établir.
Ce royaume prospérait car il était traversé par un fleuve puissant, dont les abords étaient riches et fertiles ; les palais de ce pays avaient de hautes tours élancées, comme on en vit uniquement là où les hommes de Numenor ont posé le pied.
Et pour cause, ce royaume fut fondé par les conquérants Herumor et Fuinur avant qu’ils ne se séparent pour soumettre toute cette terre, disant de chaque chose que rencontrait leur regard impérieux :
« Ceci est mien. »Tous les rois alentours éprouvaient respect et crainte pour le roi de ce pays, qu’on nommait Taush-Âru, le Roi Serpent. Les gens voulant s’attirer ses faveurs étaient si nombreux, qu’ils s’étendaient en processions interminables, des ports et portes des cités, jusqu’aux palais de marbre et d’or.
Le Roi Serpent était haut comme deux hommes, ses bras forts comme les troncs de jeunes bouleaux ; sa peau noire comme la nuit, ses dents blanches et éclatantes comme l’ivoire ; sa vigueur ne connaissait pas de faille, et après plus de cent ans de règne, il était toujours aussi vif que lorsqu’il avait conquis le trône en assassinant son père.
Il avait huit femmes, et un nombre toujours changeant de concubines dans son harem ; ses fils étaient nombreux, certains étaient de grands princes, d’autres de simples barbares. Mais d’entre eux, le pire était…
Malik.
Ce jeune prince était de bien des façons différent de son père ; il avait le cheveu blond qu’il devait à sa mère, ses yeux étaient deux améthystes que sa peau mate faisait ressortir ; brillant d’une intelligence sournoise, pareils à ceux d’un renard. Son esprit était comme la surface de l’eau, placide en apparence mais capable du plus grand tumulte, tel la tempête.
Nul n’avait jamais pu contempler le visage de sa mère, que le Roi Serpent, et des serviteurs eunuques à qui on avait crevé les yeux… Mais elle devait être d’une nature fort particulière, car son unique enfant n’était pareil à aucun des autres du grand Roi.
Son père aimait le talent naturel de Malik, car s’il s’essayait à un art, il le maitrisait promptement, puis s’en lassait tout aussi vite. Il n’y avait rien qu’il ne put accomplir s’il s’en donnait la peine, mais il y avait peu de choses pour lesquelles il daigna avoir autant d’intérêt.
Mais le Roi Serpent détestait aussi le reflet de sa mère en Malik, car toujours elle lui avait tenu tête ; et son fils au lieu de désirer le pouvoir avec ardeur, semblait n’en avoir cure.
Ainsi Malik était il un indolent, il passait ses jours en loisirs vains ; musique, danses, poèmes et chansons ; il chassait avec adresse au faucon, montait les étalons les plus farouches sans même les seller ; buvait toujours plus que de raison, et se déguisait souvent pour descendre voir les sorcières dans les ruelles les plus sordides du souk.
Là, il buvait le venin des cobras, jouait avec les arraignées comme les scorpions, sans crainte aucune ; et seules les visions que lui procuraient ces pratiques occultes, semblaient pouvoir appaiser momentanément son cœur.
Un jour, où le jeune prince gisait vautré sur un lit de soie, plongé dans les vapeurs entêtantes de l’encens ; le corps dénudé des plus belles danseuses du royaume autour de lui ; son serviteur, un vilain bossu du nom d’Abÿl le laid, vint le tirer de sa torpeur.
Il se mit à genoux et cacha ses yeux avant de toucher trois fois le sol du front.
« Divin seigneur, toi qui commande à l’oiseau et au cheval… »Mais il n’eut le temps de finir, que Malik lui vida le contenu de sa coupe de crystal au visage.
« Il suffit, viens en au fait, je suis las, tu le vois bien ! »Et le bossu malin, de faire l’idiot.
« Eh non, je ne le vois pas ; vous êtes resplendissant comme toujours mon seigneur ; non, vous semblez même encore plus beau aujourd’hui ! »La flagornerie moqueuse d'Abÿl , amusa Malik, qui aimait les irrévérencieux, et il jetta une poignée de rubis au bossu.
« Allez, mon bon Abÿl, dis moi ce qui t’amène. »« Je sais combien mon prince est friand des choses de l’occulte, et en vérité j’ai distribué beaucoup d’or pour qu’on lui trouve les meilleurs magiciens de ces terres ! »« Ah, des magiciens ! Comme je regrette Inkâ-Nus à la barbe grise, quel bel esprit avait cet homme ! Mais aujourd’hui, mon père ne reçoit plus que les petits hommes noirs et fuyants du pays maudit qui veulent l’amitié de ses armes. »« Mes espions ont trouvé pour mon prince deux magiciens de grand renom ; le premier charme des serpents, et le second avale des épées. »Et Malik poussa un soupir à fendre l’âme.
« Si tes deux drôles ne sont pas magiciens, crois-moi bossu tu finira jetté aux serpents, et si d’aventure tu y survis, je te ferai avaler les sabres du second charlantan ! »Mais la mine sournoise de son valet rassura le prince ; le bossu était le seule à avoir su s’attacher à son service, car son talent pour rester en vie lui faisait accomplir des miracles afin de divertir son maître.
On fit entrer les deux magiciens, des hommes quelconques, peut-êtres venus du Khand lointain ; ils portaient des tuniques d’un bleu délavé, et des turbans couverts d’écritures sans aucun sens.
« Prince, nous sommes les magiciens bleus et nous venons te montrer notre art ; car il est dit dans tous les royaumes que tu es le meilleur ami de la magie, et que rien ne sait plus satisfaire ton cœur, que les choses mystérieuses. »« En effet, mais vous devez aussi savoir que je suis sans pitié avec ceux qui m’ennuient ; montrez, montrez-donc. »Et d’un signe de sa main, le prince fit apparaître deux féroces haradrims noirs, avec des haches pareilles à des miroirs dorés. Mais ce fut plutôt bon signe, car les deux magiciens ne cillèrent pas.
Le premier sortit un panier d’osier et l’approcha du prince ; il découvrit alors un superbe animal.
« Prince Malik, que vois-tu dans ce panier ? »« Magicien, je vois un cobra royal, sa robe d’écaille est fort belle car aucune n’est semblable à sa voisine ; ses yeux sont l’améthyste et il respire un danger mortel comme une grande noblesse. »Et le magicien referma son panier, puis l’ouvrit à nouveau.
« Prince, que vois-tu à présent ? »Et Malik fronça les sourcils.
« Je vois une fleur à la blancheur immaculée, son pistil est d’or et elle brille comme un soleil. »Le magicien referma le panier et se recula ; ce fut au tour du second, qui était resté silencieux, de s’approcher ; mais il avait les mains vides.
« Magicien, on dit que tu connais bien des tours avec les épées, pourquoi n’en as tu donc pas avec toi ? »Grand et le visage triste comme la lune, le magicien ouvrit la bouche et y plongea sa main ; il en retira une épée merveilleuse, dont l’acier semblait contenir la fureur de l’océan.
« Prince, que vois-tu ? »« Je vois une épée, comme je n’en vis jamais d’autre ; sa lame est droite, contrairement à nos sabres et cimeterres ; on dirait une arme à la mode du Nord, et étrangement, elle m’est familière. Sans mentir magicien, dis-moi d’où vient cette arme. »« Prince, cette arme connaît ton sang ; et si tu fais vibrer sa lame, alors tu entendra le chant triste des vagues te raconter le destin de Numenor l’orgueilleuse, engloutie par les vagues ; son nom est Atalante, elle est la fin de toute chose. »Et Malik, était ensorcelé.
« Magicien dis-moi ton prix, car cette épée je la veux ; je te couvrirai d’or et de joyaux, tu aura toutes les femmes ou les les garçons que tu peux convoiter ; et même un royaume pour toi si tu le souhaites. »Mais le magicien à la face de lune recula.
« Prince, c’est cette épée qui te veux ; mais je ne puis te laisser te donner à elle, sans juger que tu saura restreindre ses ardeurs guerrières. Alors dis-moi, quelle est l’enseignement que tu as tiré des sortilèges de mon frère, ici présent ? »Le jeune prince trouva fort désagréable le ton du magicien, mais sa nature fantasque lui fit apprécier pareille impertinence ; soucieux de ne pas perdre au jeu de l’esprit qui lui était proposé, il mit donc son intelligence à l’œuvre.
« Ce serpent, je le vois bien ; c’est moi, car je suis le fils de Taush-Arû et nos yeux sont semblables. Mais tout noble qu’il soit, il ne s’est pas dressé et s’est contenté de dormir dans son panier… »Le premier magicien acquiesca, enthousiaste ; mais le second restait impassible et sévère ; Malik se mordit la lèvre et chercha plus loin.
« Plongé dans le noir, j’ai découvert la beauté et la gloire qui s’épanouissent… Mais là je dois avouer que la signification de la fleur m’échappe encore. Magiciens, je suis fort content de vous. »Et le second magicien secoua la tête.
« Mais moi, je ne suis pas content de toi prince Malik ; car tu n’es pas encore prêt à recevoir cette épée… Songe au plongeon dans le noir du serpent, que fais-tu de tes jours dans ce panier d’or qu’est ton royaume ? »« Quoi magicien, voudrais-tu toi aussi que je me dresse ? Est-ce mon père qui t’a envoyé pour faire de moi ce conquérant dont il désire tant l’avènement ? »Et Malik était à présent fort courouscé, car le magicien lui avait refusé ce que son cœur convoitait avec ardeur ; et de plus il avait passé les limites de l’impertinence auxquelles le jeune prince était acoutumé.
« Qu’on lui tranche la tête, et qu’on m’apporte l’épée ! »Mais sitôt eut-il prononcé ces paroles que le magicien à la face de lune avala l’épée, les gardes furent prompts et la tête du magicien roula sur le sol.
Nul sang ne s’en échappait, et le corps se tenait bien droit ; la tête toisa le prince.
« Atalante t’est à présent cachée ; si tu veux la trouver, tu devra chercher les hommes de ton sang. »Le premier magicien, s’empara de la tête, jovial, et la replaça sur les épaules de son frère ; puis il parla au prince avec un air affligé.
« Prince écoute mon conseil, abandonne les façons dévoyées de ton père et part à la recherche de la sagesse des fidèles. Qu’est-ce qui te retient ici ?»Et Malik, abasourdi, dut convenir que rien ne l’occupait en ce royaume.
« Alors suit le chant de ton cœur, car il est semblable à la complainte de l’épée. »Les deux magiciens s’en allèrent, le bossu essaya bien de les suivre, mais ils le perdirent en montant sur une barque qui disparut sur le fleuve. Quand Abÿl revînt, son maître avait chassé toute sa cour, ouvert grandes les fenêtres pour faire entrer l’air frais et le soleil.
« Abÿl, dis-moi ; que sais-tu des gens de Numenor ? Où leur sang est-il le plus fort ? »« Seigneur, on dit qu’il y a dix jours, une flotte immense aux voiles immaculées a mouillée l’ancre en Umbar ; elle vient de l’arrogant royaume du Nord connu sous le nom de Gondor, et ses gens se réclament du sang de Numenor à force et à cris. »« Oui, Umbar… Car le chant de mon cœur est celui de l’épée, et c’est le chant des vagues. »« Seigneur, voulez-vous que j’envoie un messager en Umbar ? »Et Malik prit une grande bouffée d’air frais, elle avait un goût de sel et de d’iode, ce fut comme s’il goûtait le vent pour la première fois.
« Pas de messager, j’ai déjà trop délayé l’appel de la mer ; je m’en vais vers Umbar et en ce royaume je ne reviendrai jamais. Voilà une pensée plaisante, car elle mettra sans aucun doute le Roi mon père, en rage. »« Prince, je vais avec toi ; je connais bien des langues et avant la fin, je saurai t’être utile. »Malik eut un grand rire.
« Evidemment que tu viens avec moi bossu, n’oublies pas que tu m’appartiens ! »Et le bossu de se frotter les mains en se lamentant.
« C’est vrai, c’est vrai… »[---]
Malik décida de voyager légèrement, il choisit des vêtements simples comme il en mettait parfois pour déambuler en ville sans attirer l’attention, sella un bon cheval, ne prit qu’un poignard et quelques provisions.
Le bossu se demanda si c’était là chose prudente.
« Mon Prince, ne prenez-vous pas d’autre arme ? Et ne souhaitez-vous pas que des gardes nous escortent ? »« Bossu, ces gardes sont ceux de mon père et je suis le prisonnier qui s’évade. Quand au reste, je fais le serment de ne porter aucune autre épée que celle à laquelle je suis destiné. »Ainsi, le prince sur son cheval, et le bossu sur son mulet ; s’en allèrent-ils au Nord-Ouest, vers la côte et la cité portuaire d’Umbar.
En chemin, ils croisèrent une compagnie d’hommes sombres, à la peau laiteuse et cadavérique ; vêtus de noir sous l’accablante châleur du soleil, ils avancaient d’un pas de damné, portant la banière de l’oeil.
« Bossu regarde ces imbéciles, tout vêtus de noir en plein soleil ! Il semble qu’ils nous hêlent. »Ainsi les deux cavaliers allèrent à la rencontre de la colonne noire ; l’homme terrible qui menait la compagnie du Mordor s’agenouilla et toucha le sable de son front, de par trois fois.
« Prince Malik, je te salue au nom de mon seigneur unique et tout puissant ; sâches que son pouvoir est sans limites, et qu’il n’y a rien tant que ton amitié qu’il désirerait sur cette terre. Il a prévu ton départ et nous a envoyés à ta rencontre pour te révêler ton destin, et il est grand ! »Mais Malik ne se laissa pas prendre par les paroles doucereuses de l’homme, à son habitude, il le moucha.
« Sorcier du Mordor, parle vite car je suis pressé. »Ravalant sa colère, le sorcier poursuivit.
« Ce royaume sera tiens, avec lui viendra tout le Harad, et puis le Khand ; tous se soumettront devant toi. On dit que tu désires les pouvoirs de la magie, Sauron t’en livrera les plus secrètes arcanes, et même les elfes te craindront. »Malik fit mine de songer fortement, puis se pencha vers l’homme.
« Sorcier, le Mordor est-il loin ? »« Assurément non mon Prince, nous pourrions t’y mener. »« C’est heureux, tu vas donc pouvoir y retourner prestement et dire à ton maître que j’ai pris sa requête en considération… Si d’aventure il me plaisait de me vêtir de loques crasseuses et d’avoir la mine d’un cadavre, alors je le lui ferai savoir. »Et le sorcier se dressa, ses yeux emplis de fureur ; ses mains aggripèrent le ciel, et la journée devint soudain aussi noire que la nuit.
« Pauvre fou ! Tu regrettera d’avoir défié la puissance du Mordor ! »Mais il en fallait plus pour impressionner le téméraire et insouciant Malik ; il fit ruer son cheval et renversa le sorcier.
« Merci pour ta peine, nous voyagerons ainsi avec la fraîcheur de l’ombre ! »Et riant, il abandonna la compagnie noire à son sort en chevauchant vers Umbar.
Il y avait à cet âge, trois grandes villes ouvertes sur la mer ; le première était Tharbâd en Cardolan, mais depuis sa chûte, Umbar était sans conteste devenu le plus grand port marchand du monde.
On y expédiait l’huile et les épices, les animaux, la soie et les tapis ; on y débarquait les métaux venus des montagnes bleues, et le bois des forêts du Beleriand.
A l’époque où le Gondor tenait Umbar, elle était dirigée par un Canotar ; mais sous le règne de l’Usurpateur, les fils de Castamir se disputèrent la domination de ce fief de choix.
Les armées de l’Usurpateur étaient constituées d’hommes de la mer, parqués trop longtemps sur la terre ferme, leur discipline se relâcha, et les soldats devînrent de vulgaires corsaires ; des brûtes se disputant dans les auberges, extorquant des taxes imaginaires aux marchands des quais.
C’est dans cette ville, que Malik et son bossu débarquèrent un beau matin, à la recherche du sang de Numenor.
Passée la porte Est de la ville, une bande de gens d’armes arrêta les deux voyageurs ; le sergent qui menait ce détachement de brutes à la cuirasse ternie et la barbe folle, jetta un oeil appréicateur à la monture de Malik, un bel Azelan au crin sombre.
« Seuls les queni et les messagers ayant un sauf-conduit ont le droit de chevaucher dans la cité ; es-tu l’un ou l’autre ? »Malik aurait pu rétorquer qu’il était prince de sang, mais il ne souhaitait pas que son père apprit qu’il se trouvâ là ; aussi tout sourire, se contenta-t-il d’être charmant comme à l’acoutumée.
« Gredin, porte ta main sur la bride de mon cheval encore une fois, et je t’assure que je te l’enfoncerai jusqu’au coude, là où le soleil ne brille jamais. »Et Abÿl le bossu de presque défaillir, car il y avait là bien cinq solides gaillards, armés de poignards tranchants et de hallebardes ; le sergent s’empourpra.
« Je m’en vais te donner une leçon, le drôle, que tu n’es pas prêt d’oublier de sitôt. »« J’aimerai bien voir ça ! »Le sergent empoigna Malik pour le désarçonner, mais ce dernier lui écrasa le poing sur le crane avec tant de force qu’il lui fit jaillir la cervelle par les naseaux.
Ce ne fut pas du goût des quatre autres, qui épouvantés prirent leurs jambes à leur cou. Malik se tourna vers son bossu et soupira, ennuyé.
« Assurément, ce n’était pas là le sang de Numenor ; j’espère que tu ne t’es pas trompé bossu, ou tu t’en repentira. »« Nous verrons cela à l’occasion, mon Prince, car voici venir une compagnie qui n’a pas l’air bienheureuse. »Et en effet, les quatre brigands avaient rameuté nombre de leurs camarades ; c’était toute une foule de gens en armes qui se précipitait sus aux deux voyageurs.
Malik mit pied à terre et se campa fermement sur ses deux pieds, il s’était dans son royaume essayé à la lutte, mais avait arrêté faute d’adversaire capables de le distraire ; en désespoir de cause, il allait parfois dompter les crocodiles pour chasser son ennui.
Il saisit son premier assaillant et le jetta au loin comme un fêtu de paille ; il saisit son second assaillant, et dans l’étreinte de ses bras puissants le brisa comme un morceau de bois mort ; il saisit son troisième assaillant, et d’un revers de la main, lui fit sauter la moitié du visage ; il estourbit ainsi, en tout et pour tout, douze hommes solides, avant qu’on ne l’emprisonne dans un filet et que le nombre ait finalement raison de lui.
[---]
L’histoire de l'altercation entre Malik et les gardes enflamma la cité, et avant la tombée du jour, les fils de Castamir vînrent observer le prodige au fond de sa geôle.
Le premier lui demanda :
« Ami, quel est ton nom ? »Malik, de fort méchante humeur, lui rétorqua :
« Dis moi d’abord le tien, ensuite t’honnorerai-je peut-être d’une réponse. »Le second lui demanda :
« D’où viens-tu ? »Malik lui rit au nez.
« Je viens d’un royaume si riche et si puissant, que votre cité pourrait à peine lui servir de porcherie. »Et le troisième lui demanda :
« Qu’est-tu venu faire en cette cité ? »Enfin, Malik se leva.
« Ceci, je puis te le dire ; je suis à la recherche du sang de Numenor. »Et les trois frères prirent peur, car ils crurent que leurs ennemis avaient envoyé Malik pour les tuer ; d’une seule voix ils s’exclamèrent.
« Aux galères et à la mort ; qu’on envoie cet homme loin de nous, vers l’autre bout du monde ! »Et ainsi fut-il fait ; on dépouilla Malik de ses vêtements, on lui frappa le fer autour des poignets et des chevilles ; puis il fut embarqué à bord d’une galère en partance pour une destination inconnue.
Mais c’était sans compter l’ire du seigneur ténébreux après le Numénoréen Noir qui l’avait défié ; après des jours de traversée, la mer devînt mauvaise…
Il y avait, même au sein du royaume d’Ulmö, des créatures anciennes et corrompues, telles que l’influence de Morgoth les avait déformées au tout début des âges. Un de ces monstres anciens fut tiré de son sommeil, et remonta à la surface pour s’emparer du navire de Malik.
La créature était un serpent gigantesque, et il apparut comme un présage à Malik, qui le vit se dresser comme le signe que l’Ennemi tentait de l’arrêter sur la voie de sa destinée.
Les lâches corsaires d’Umbar sautèrent à l’eau, abandonnant les rameurs à leur sort, mais Malik refusait de s’avouer vaincu. Faisant appel à toutes ses forces, le Numénoréen Noir arracha l’énorme rame de son logement, et la projeta avec vigueur, tel un javelot qui transperça la gorge du monstre et le laissa pour mort.
Mais tout à sa fureur, Malik ne s’arrêta pas là, il brisa ses chaînes et arracha la peau du serpent pour s’en faire un manteau ; crainte et respect lui furent acquis dès lors à travers tout l’équipage. Un des galériens lui demanda :
« Puissant guerrier, quel est-ton nom ? »« Je fus jadis un prince, mais je ne suis plus aujourd’hui que le prisonnier qui s’évade ! »« Alors assurément ton nom est Nardu-Inzil, la fleur des guerriers. »Et Malik fut fort surpris car c’était là la langue de Numenor, il questionna le galérien avec plus d’amabilité qu’il n’en avait jamais déployé pour personne.
« Ami, dis-moi sans mentir où tu as appris ces mots ; car ma vie n’as plus qu’un seul but aujourd’hui, trouver le sang de Numenor. »« Seigneur, sâche qu’avant d’être réduit à l’état misérable dans lequel tu me trouva, j’étais chevalier du Gondor ; mais je refusais de me soulever contre mon Roi pour le capitaine des vaisseaux Castamir, et il me fit jetter aux galères comme un vulgaire chien. »« Ami, qu’est-ce qu’un chevalier ? Car je n’entend pas ton propos. »« Les queni sont les meilleurs guerriers du peuple des hommes, ils chevauchent librement et portent l’épée ; ils tiennent des terres et sont respectés de tous pour leurs hauts faits à la bataille, comme la sagesse de leur gouvernance. »Malik fut fortement impressionné.
« Assurément seul un Roi du sang de Numenor peut avoir de tels hommes à son service, si je pouvais devenir l’un d’entre eux, alors j’obtiendrai enfin tout ce que mon cœur désire. »« Devenir chevalier n’est pas chose aisée ; mais seigneur, tout respire en toi une grande noblesse, et sans mentir nul autre art que celui de la chevalerie ne saurait mettre à meilleur profit de telles dispositions. »« Alors c’est chose entendue, je deviendrai chevalier ; dis-moi comment faire vieil homme ! »La passion brûlante et soudaine de Malik fit sourire le galérien.
« Du calme, chaque chose en son temps ; libérons d’abord tous nos compagnons, puis nous mettrons le cap sur Edhellond, où j’ai de loyaux amis pamir les elfes. D’ici notre arrivée, je t’enseignerai les us et coutumes du monde, car tu semble les ignorer superbement. »Ainsi le navire prit-il la direction d’Edhellond ; et comme à chaque fois qu’il se lançait dans une aventure, Malik prit très au sérieux l’enseignement du vieux chevalier. En un rien de temps, le Numénoréen Noir se fit aux bonnes coutumes du Nord et tempéra un peu son caractère entier.
Les elfes firent bon accueil aux hommes et leur navire ; et si nombre de galériens s’en retorunèrent rapidement vers leurs foyers, Malik et le vieux chevalier souhaitèrent demeurer plus longtemps avec les elfes.
Le Numénoréen Noir trouvait chez ces êtres quelque chose qui l’appaisait profondément, et c’est avec grande joie qu’ils chantèrent ensemble, le jeune homme émerveillant ses nouveaux amis par ses dons fabuleux.
Un jour, le vieux chevalier vînt trouver son ami.
« Tu semble bien pensif Nardu-Inzil, il sera bientôt temps pour nous d’aller à l’Est et gagner Dor-en-Ernil ; c’est le fief de Beltram Abâr-Dulgi, le sénéchal du roi Eldacar. Quel meilleur endroit pour toi afin de devenir chevalier ? »« Ami, j’ai appris beaucoup à ton contact ; et à la veille d’un engagement aussi solennel, je me rends compte que mon âme est chargée de pêchés. De mon temps dans le Sud, j’avais un valet bossu qui m’était très fidèle, je l’ai fort mal traîté et souvent raillé ; nous fûmes séparés à Umbar et je me demande s’il va bien à présent. »« Je comprends, mais songe que s’il t’a survécu au fil des années ; alors il doit se porter aujourd’hui comme un charme ! »Et les deux amis rirent sincèrement, Malik Nardu-Inzil en songeant avec tendresse à son pauvre bossu, le vieux chevalier simplement pour avoir retrouvé le goût de la vie et de la liberté.
Ils quittèrent le refuge des elfes, puis chevauchèrent à l’Est ; contournant les montagnes, ils arrivèrent dans la belle région connue sous le nom de Dor-en-Ernil. Les champs verdoyants y sont rafraîchis par l’écume, et les près sont salés ; l’orge et la viande y ont un goût sans pareil, et tout son peuple a le regard tourné vers la mer.
On réserva aux cavaliers vêtus à la façon des elfes, le meilleur des accueils, et ils furent reçus sans délai par le seigneur Abâr-Dulgi, qui se réjouit fort de retrouver un vieil ami, ainsi que de faire la connaissance d’un homme d’aussi noble apparence que son compagnon.
Ils déjeunèrent de bon cœur, et le vieux chevalier exposa au sénéchal du Roi la raison de leur venue ; Beltram Abâr-Dulgi écouta en silence, puis l’air sombre répondit à ses invités.
« Hélas, je ne peux faire notre ami chevalier ! Depuis la défaite de l’usurpateur, une affaire des plus graves occupe notre ordre ; une demoiselle doit trouver un champion pour défendre son honneur, mais la querelle l’oppose à tous les queni du Roi ; il n’y a donc personne en ces terres pour prendre son parti, c’est une triste affaire… Le Roi a décrété qu’il n’armerait aucun chevalier avant que la querelle ne soit versée. »Le vieux chevalier secoua tristement la tête.
« Le Roi du Rhovannion ou celui d’Arthedain n’ont-ils donc envoyé personne ? »« Arthedain est en guerre contre le Roi Sorcier d’Angmar, et les traîtres du Rhudaur ; de plus, aucun de ses chevaliers ne pourrait arriver à temps pour prendre part au combat. Quand au souverain de Rhovannion, vous n’êtes pas sans ignorer qu’il est parent du Roi, et se range donc de son côté dans la querelle qui l’oppose à la demoiselle de Pelargir. »Mais Nardu-Inzil n’allait pas baisser les bras pour si peu.
« Un chevalier ne peut laisser une demoiselle sans défense ; vous oubliez bien des rois, qui certes ne sont peut-être pas ceux des hommes, mais peuvent tout de même armer chevaliers. J’irai trouver l’un d’eux et reviendrait pour défendre l’honneur de cette demoiselle de Pelargir. »La fougue et la résolution inébranlable de Malik Nardu-Inzil plurent au sénéchal du Roi, car il désespérait de trouver à défendre Adven Azrâ-Tarik, pour qui il avait de l’amitié.
« Je ne sais comment vous pourrez parvenir à vos fins bel ami, mais mes espoirs vous accompagnent. »« Je gravirai les plus hautes montagnes et demanderai audience au seigneur des vents ; s’il ne veut pas de moi à son service, alors je remonterai les rivières jusqu’à leurs sources les plus secrètes et j’implorerai le seigneur des eaux de faire de moi son vassal ; si lui aussi me refuse sa bénédiction, alors je creuserai la terre jusqu’à entendre battre son cœur, et je me présenterai devant le grand forgeron… Et si aucun d’entre eux ne veut de moi, alors je hurlerai à la lune, en implorant Elbereth, comme la nomment les elfes, de faire de moi son chevalier. »Et ayant dit ceci, il se dressa et partit enfourcher son cheval ; puis il disparut dans le lointain.
[---]
C’est dans les montagnes blanches, que Malik Nardu-Inzil tenta sa chance ; il avança malgré le brûlure de la neige, s’écorcha les mains sur l’arrête tranchante des rochers, et gravit pas à pas la montagne jusqu’à son sommet.
Trois jours, trois nuits, il attendit sans boire ni manger, mais jamais Gwaïr seigneur des vents ne répondit à son appel.
En désespoir de cause, meurtri et affaibli, Malik redescendit sur l’autre versant de la montagne, dans les plaines où vivaient les Kuduks, de touts petits hommes qui logeaient dans des terriers.
Ils se cachèrent, éffrayés par ce géant ; et il marcha péniblement jusqu’à la rivière Onodlo, là il put se désaltérer, et plonger dans un profond sommeil du à l’épuisement.
A son réveil, non loin de là, se dressait un beau pavillon de toile rouge et noir ; une grande et belle femme brune en sortit et l’appella.
« Noble Prince, il y a dans mon pavillon des fauteuils garnis de peaux et de fourures, du vin et des plats à profusion ; viens et sois-mon invité. »Malik ne se fit pas prier, et la dame l’installa à la place d’honneur ; il mangea et but à satiété, se réchauffa… Et s’échauffa un peu ; car la dame était belle, amicale et peu farouche ; si bien qu’ils glissèrent enlacés sur un lit dressé non loin.
« Dame, je ne sais comment te remercier de ton hospitalité ; c’est un fort beau pavillon que tu as là, ton vin était délicieux et tous les plats me râvirent ; mais plus que tout, c’est ta compagnie qui m’agrée, et cela fait fort longtemps que je n’ai connu l’amitié des cuisses d’une femme. »« Mon Prince, tout cela n’est rien comparé à ce que tu mérites ; et je brûle de te donner mes baisers, mais serai-tu alors mon chevalier ? »Et Malik fut bien dolent.
« Hélas dame, je ne suis pas chevalier en ces terres. »« Comment ? Toi qui a du sang de roi, qui ose te dénier ce qui te revient de droit par ta naissance ? En vérité, cela doit être un bien mauvais souverain, mon seigneur lui, s’il avait un chevalier tel que toi à son service, saurait bien s’attacher son amitié. Et par amour de ce chevalier, il n’est rien que je ne ferai. »Ces propos de miel, remplirent Malik Nardu-Inzil de joie.
« Amie, dis-moi qui est ton Roi ; car les manières de ses gens ne sont pas pour me déplaire. »« Mon seigneur s’appelle Annatar, et il est le seigneur des dons ; tout ce qui est de plus beau il peut te l’offrir. Embrasses mon anneau et prêtes-lui allégeance, alors il te fera chevalier et nous pourrons nous aimer. »Mais alors qu’il allait embrasser l’anneau de la dame brune, Malik découvrit avec horreur un oeil unique de grenat monté sur ce dernier ; il se dressa alors, empli de fureur.
« Ah le bel ami des gens de Numenor que voilà ! Annatar le menteur, Sauron le fourbe ! Et toi ribaude, tu es bien chanceuse que j’ai embrassé les voies de la chevalerie, car ton Prince t’aurait donné matière à t’en repentir autrement ! »Dans sa colère, Malik jetta la femme à l’eau, et elle se changea alors en anguille ; puis il boutta le feu au pavillon et brandit un poing vengeur vers l’Est.
« Je suis ton ennemi, ta chûte prochaine chante dans mon sang ! »Et furieux, le Numénoréen Noir entreprit de remonter le cours de la rivière pour s’en tenir à ses projets.
En route, il avisa une barque plantée au milieu du courrant ; deux hommes y pêchaient, l’un tenait une cane et l’autre une épuisette ; leurs tuniques étaient d’un bleu passé et c’est avec stuppeur que Malik reconnut les deux magiciens.
« Holà de la barque ! Gai-Luron ! Face de Lune ! Mes magiciens ! »Face de Lune pêchait, imperturbable, mais Gai-Luron salua amicalement Malik.
« Salut à toi Nardu-Inzil ! Te voici bien loin de ton panier, que fais-tu donc par ici ? »« A d’autres ! Vous le savez fort bien, je suis à la recherche d’un roi, pour m’armer chevalier. » « Je n’ai pas eu ouie-dire qu’il poussait de cette sorte de rois dans les bois de Fangorn, vu que c’est là où te mènent tes pas… Il m’est avis que tu vas encore perdre ton temps. »« Et bien pointez moi dans la bonne direction ! »Et comme si la discussion perturbait le poisson, Face de Lune coupa sèchement les deux autres comparses.
« Tu n’aura droit qu’à une question, aussi choisi bien ! »Et alors qu’il allait demander où trouver un roi qui l’armerait chevalier, Malik s’arrêta et songea à son temps passé parmi les elfes… Il ne pouvait devenir chevalier avec un tel poids sur la conscience, il devait d’abord s’amender.
« Magiciens, mes magiciens ; dites-moi je vous prie où je pourrai trouver mon bossu. »Et Gai-Luron de tapper dans l’épaule de Face-de-Lune.
« Incrédule que tu es, notre seigneur nous avait pourtant bien dit : celui-ci apprendra tout ce qu’il verra fait une fois, et jamais on ne pourra lui porter deux fois le même coup ! »Gai-Luron rit pour lui-même, laissant Nardu-Inzil perplexe ; mais Face de Lune lui fit sa réponse.
« Au pied de la tour noire, à l’Ouest attend le bossu. »Malik leur fit ses adieux et reprit son chemin, avisant dans le lointain la sombre tour d’Orthanc.
La grande aiguille de pierre lisse grandissait au fur et à mesure, arrivé dans le cercle d’Angrenost, Malik avança jusqu’au pied de la tour et y trouva Abÿl le bossu assis sur une pierre.
Entendant le rire puissant de son maître, le bossu sauta sur ses pieds et vînt à sa rencontre, dansant de joie ; ils eurent du mal à s’arrêter tant ils étaient heureux de se retrouver, eux, étrangers dans ces terres inconnues.
« Abÿl, mon ami ; je dois te dire deux choses aujourd’hui qui ont attendues bien trop longtemps. La première, est que tu es un homme libre, je te libère de mon service. Et la seconde, c’est que j’implore le pardon de cet homme pour les mauvais traitements que je t’ai infligés. »« Monseigneur, je savais que ce jour viendrait ; car votre mère me dit jadis: Abÿl, mon fils apprendra tout ce qu’il verra fait une fois, et jamais on ne pourra lui porter deux fois le même coup. Vous avez échoué une fois à l’énigme des magiciens, mais aujourd’hui vous avez triomphé. »Et quoi qu’heureux, Malik Nardu-Inzil fut frappé par la nouvelle.
« Ainsi tu as connu ma mère, mais je croyais pourtant que tous ceux qui la virent eurent les yeux crevés ! »« Je servais votre mère bien avant qu’elle ne fut capturée par Taush-Arû le Numénoréen Noir, et avant même votre conception, elle sut quel serait votre destin… Mais à ce sujet je ne puis vous en dire plus, et à présent vous devez gravir les marches menant à la chambre des Varyari Palantirion. »Et alors, Abÿl présenta l’épée des océans, Atalante la triste, à son légitime détenteur.
« Ainsi c’est toi qui l’avait, depuis le début. »« Vous avez appris l’humilité et la patience, vous êtes aujourd’hui pleinement Nardu-Inzil, la fleur des guerriers de cet âge. »Malik empoigna Atalante, et la vibration se répecuta jusque dans ses os, l’emplissant du chant lancinant parlant du continent perdu ; et les larmes coulèrent sur son visage.
« L’humilité… Nous ne tomberons plus par la faute de l’orgueil, le pêché d’Ar-Pharazôn est derrière nous. »Puis il gravit les marches, et dans la salle les gardiens l’attendaient autour de la pierre de vision.
« Ta venue était annoncée Nardu-Inzil, mais seuls les plus purs des Numénoréens peuvent user du pouvoir des Panlantiri, si tu es digne, tente l’épreuve. »Et sans hésiter, Malik plaqua ses mains sur la pierre, et y riva son regard, faisant de sa volonté farouche un fer de lance déchirant le brouillard.
Et c’en était fait, il avait retrouvé le sang de Numénor.
« Je suis votre chevalier, mon Roi. »A des lieues de là, Araphor d’Arthedain venait de faire de Nardu-Inzil, un Arnaroqueni Yenwa.
Sans perdre un instant, Malik Nardu-Inzil sortit, et son fidèle ami Abÿl l’attendait avec un cheval sellé et des armes du bleu nuit de l’Arthedain ; sur son bouclier se dressait fièrement la fleur blanche.
« Chevauchez prestement jusqu’à Pelargir, votre aventure n’est pas terminée monseigneur ! »Remerciant son ami, Nardu-Inzil revêtit ses armes, sauta en selle et partit au triple galop ; et il semblait qu’au dessus des montagnes blanches, un gigantesque cavalier chevauchait de concert avec lui, son rire raisonnant dans les vallées et chassant les ombres par devant le chevalier d’Arthedain.
[---]
Pelargir ce matin-là, était bien triste ; les quais du port étaient vides depuis le vol des navires de la flotte par les fils de Castamir, et le sort funeste de la courageuse demoiselle Adven Azra-Târik plongeait le peuple dans l’affliction.
Aussi quand un cor retentit et qu’une sentinelle hurla
« Voici un chevalier d’Arthedain qui vient à notre secours ! »Le cri se répercuta dans toute la ville, dans chaque rue, les volets s’ouvrirent et la clameur s’entendit jusqu’à la tour blanche de Minas Tirith elle-même !
Et c’est toute la ville qui se plaça sur la route du chevalier, jusqu’au logis de la demoiselle ; ils voulaient tous le voir et n’en crurent pas leurs yeux, car il était tel qu’on décrivait les hommes de Numénor dans les légendes les plus anciennes ; de haute stature, de parfaite proportion ; seule sa peau sombre et ses cheveux de la couleur de l’or surprenaient, mais il rendaient son port altier encore plus évident.
Et tous crièrent :
« Gondor et Arthedain, deux royaumes pour un seul peuple ! »Et l’acceuil toucha profondément le chevalier, lui qui était étranger en ces terres fut choyé comme un frère depuis longtemps perdu ; soudain, son cœur était en paix comme jamais, plus que toutes les potions et les sortilèges ne l’avaient jamais transporté, il sut qu’à travers sa quête, c’était lui-même qu’il avait enfin trouvé.
Il s’arrêta devant le logis de bonne pierre des Azra-Târik et… Fort heureusement pour la légende, le peuple ne sut jamais ce qui se déroula à l’intérieur.
Une dame de compagnie le mena dans la cour, où la demoiselle de Pelargir l’attendait… De pied ferme ; elle lui fit un accueil poli, quoi que sans épanchements ; et s’en alla décrocher son épée d’un râtelier tout proche.
Tout du long, Malik Nardu-Inzil ne put détacher ses yeux de cette femme ; car il n’en avait jamais vu de semblable auparavant. Elle portait les armes avec une aisance d’un autre monde, et ses cheveux étaient coupés tout comme ceux d’un garçon.
« Ma dame, que fais-tu avec cette épée ? Nul besoin pour toi de prendre le fer, car je serai ton champion face aux queni du Gondor. »Elle n’eut pour lui qu’un petit sourire en coin, dont la dureté frappa Malik ; car il avait souvent eu le même lorsqu’il s’adressait à des gens qu’il tenait alors pour des sots.
« Seigneur, ce n’est pas parce que tu es le seul chevalier à t’être présenté à ma porte, que je dois pour autant te donner mon gage ; les queni du Gondor sont beaucoup plus habiles que vous autres Arnaroqueni d’Arthedain pourriez le penser. Avant de t’accepter comme mon champion, je tiens à juger de tes qualités de chevalier ; car si on ne peut mourir qu’une fois, une seule humiliation me suffira amplement. »« Dame, je te conseille fortement de reconsidérer ton dessein, car si dans ce pays on est leste avec la place que doit tenir une femme, sâche que d’où je viens… »Mais il n’eut pas le temps de finir, car Gwaemithren fendit l’air en sifflant et passa à un doigt de son visage ; Malik poussa un juron bien senti en Haradrim et tira son épée, Atalante chanta dans la cour et les pierres en furent ébranlées alors que les eaux du Belfalas répondaient à son appel.
L’acier elfique rencontra l’acier de Numenor, et Azra-Târik n’épargna en rien son adversaire ; sa science du combat à la mode des elfes la rendait supérieure à tout autre chevalier du Gondor, mais pour chaque bon coup qu’elle plaçait, le second était toujours déjoué, et pire, Nardu-Inzil finissait par les retourner contre elle !
« Quel est ce maléfice ? »Il ressortit vite qu’il n’y aurait pas de vainqueur ; Adven était rapide et précise ; Malik était puissant et infatigable ; Gwaemithren était légère et tranchante ; Atalante était brutale et indestructible.
« Arrêtons-là, je vois que tu connais ton affaire seigneur ; j’ai confiance en ta victoire, et je te confierai mon gage. »« A la bonne heure ! J’ai bien cru que je devrai t’occire avant le bourreau, Dame ! »Et la remarque ne fut pas sans fâcher Adven, à qui aucun homme éduqué du Gondor n’avait jamais tenu de propos aussi familiers.
« Il n’est pas dit, rustre d’Arthdeain, que tu aurai réussi, encore moins que je t’aurai épargné. »« Soyons sérieux un instant Dame, tu as épuisé tous tes tours guerriers contre moi sans succès, et tu ne puis plus me surprendre. »Et le chevalier l’irritait tant, qu’Adven finit bien par le surprendre, le gratifiant d’un bon coup de pied dans le tibia. Malik dansa comme un pauvre hère frappé de danse de Saint Guy.
« D’accord, celui-là je ne l’attendais pas ; mais il ne fonctionnera pas deux fois ! »Mais la demoiselle de Pelargir avait abandonnée sa manche sur le sol en guise de gage, et repartait vers l’autre bout de la cour.
« Voici, et j’espère seigneur que tu ne t’es pas mis en tête que je te remercierai d’une quelconque façon en te confiant follement mon amitié et mes terres. »Aucune femme n’avait jamais osé s’adresser au prince du Harad de la sorte ! Malik ramassa furieusement le gage et ne voyant personne alentours, ne se gèna pas pour mettre son hôtesse au fait de son déplaisir.
« Les plus belles femmes de la terre se sont succédées en processions à genoux jusqu’à ma chambre, elles avaient la peau ambrée et les courbes généreuses comme celles du fleuve ; quelle audace de croire que je pourrai m’intéresser à une jouvencelle qui a l’allure d’un garçon d’écurie ! »Adven se retourna, le visage furibond, quelle impudeur !
« Je ne sais quelles sont les mœurs dégénérées de nos cousins d’Arthedain, mais elles n’ont pas cours au Gondor et encore moins dans ce logis, je ne vous retiens pas seigneur, Adieu ! »« C’est cela, et si d’aventure je péris en votre nom, accordez-moi ce dernier souhait, surtout ne venez pas pleurer sur ma tombe, je vous ai assez entendue ! »Adven Azra-Târik claqua la porte, Malik Nardu-Inzil partit sans se retourner.
[---]
Le jour du défi arriva, et la cour se réunit dans la haute citadelle de Minas Tirith, au pied de l’arbre blanc. Il y avait là tous les chevaliers du Gondor et leurs amies, mais aussi nombre de chevaliers du Rhovannion ; le Roi Eldacar, son fils le prince Aldamir ; le sénéchal Beltram Abâr-Dulgi, et le vieux chevalier.
Le fidèle bossu Abÿl était là lui aussi, pour servir d’écuyer au fils de sa maîtresse ; et bien sûr, Adven Azra-Târik, dont c’était le procès.
Le Roi était soulagé qu’un champion se fut présenté, mais il espérait qu’aucun mort ne serait à déplorer.
« Pour avoir usurpée l’identité d’un chevalier du Roi, et menti à son souverain ; Adven Azra-Târik est coupable de parjure. Soutenant que ses actes étaient dans l’intérêt du Gondor, il est de son droit de faire appel à un champion pour défendre sa parole, les armes à la main. Pour défendre les couleurs du Roi, je choisi le sénéchal de l’ordre des queni du Gondor. »Et Beltram aux armes noires s’avança.
« Je suis Beltram Abâr-Dulgi, plume noire du cygne de Dor-en-Ernil, sénéchal du Gondor, défenseur d’Osgiliath et vainqueur de Pelargir. Je me bat pour Eldacar-Roi. »Malik s’avança à son tour dans le cercle.
« Je suis Malik Nardu-Inzil, fleur des guerriers du Harad, fils du Roi Serpent et de la Dame que l’on ne peut contempler, ennemi de Sauron et vaisseau du sang de Numénor ; chevalier d’Arthedain par la grâce d’Araphor et des Valars. Je me bat pour Adven Azra-Târik… »Et alors que tous croyaient le défi lancé, la cour fut horrifiée quand le champion déclama les titres et rangs de chevalerie usurpés par la demoiselle de Pelargir.
« …Pilier dressé face à la mer de Pelargir, fille de Gaïben sénéchal de Pelargir et de Vilyä sans-peur, sœur de Valor des queni du Gondor ; amie des nains des monts du fer et chevalier de la triste dame. »Et nul n’osa le faire taire, car c’était l’homme le plus grand de l’assitance, une flamme farouche et ancienne brûlait dans ses yeux lavande.
Le combat fut bref et se déroula dans les coeurs, Malik tira Atalante au clair et la brandit ; son chant triste envahit l’air, la mer lui répondit en echo et le sang de Numenor se mit à bouillir dans les veines de tous les fidèles présents ; l’assitance attendit le souffle coupé, car il sembla alors que le monde s’était arrêté.
« Souviens-toi de ce jour peuple des hommes, jamais plus l’orgueil ne précipitera notre chûte ! »C’en était fini, Malik rangaina Atalante et le silence persista un instant ; Beltram le sage fut le premier à réagir, il s’avança vers Adven Azra-Târik et les larmes coulaient sur son visage.
« Je te supplie de me pardonner, ma sœur. »Il lui tendit son bouclier, qu’elle accepta, et ils se donnèrent l’accolade ; la plume noire du cygne et le pilier dressé face à la mer s’étaient enfin retrouvés.
Eldacar était heureux, il embrassa Malik en grande amitié.
« Si nous avions eu ton conseil plus tôt chevalier, nous aurions évité cette pénible année d’angoisse ! A présent l’interdit est levé, et je veux faire de toi le premier des nouveaux chevaliers à être adoubés au Gondor. »Malik posa un genou à terre, mais conserva une mine grâve.
« Tu m’honnores mon Roi, mais il ne serait pas juste que je fus le premier car il est un chevalier ici qui me dépasse de beaucoup en courage, et tu sais bien qui il est. »Et Eldacar approuva.
« Tu as raison frère d’Arthedain ; qu’il soit su de tous, que notre royale personne décrète dès aujourd’hui la création d’un ordre de chevalerie dédié à Nienna ; il ira partout où les gens souffrent et tentera de les soulager, et à tout ordre il faut sénéchal… Adven Azra-Târik, avance-toi. »Et ainsi, le pilier dressé face à la mer fut la première de toutes les nobles dames à prendre les armes sous les couleurs de son Roi ; la tradition perdura de façon discrète, mais n’était pas le premier cas de ce genre ; car en Arnor jadis, les dames Dunedain avaient le pouvoir de prendre les armes.
Ce fut un jour de liesse, mais alors que le Roi voulait retenir Malik Nardu-Inzil à ses côtés, allant jusqu’à partager son plat avec lui ; ce dernier signifia qu’il ne pouvait rester.
« Tu es mon Roi, mais je sers les deux royaumes des fidèles et la guerre frappe durement ton frère Araphor ; je ne puis rester ici en votre compagnie, et quoi qu’il me coûte chèrement de me séparer de vous, je dois partir pour l’Arthedain dès maintenant. »Et Adven Azra-Târik se sentit fort mal de ne pas avoir pu présenter ses excuses à ce noble chevalier ; elle le prit à part, comme il sied lorsque l’on souhaite parler de choses privées.
« Chevalier, mon frère ; nous reverrons-nous ? »« J’en doute, noble dame ; voici la manche que tu me confia pour défendre tes couleurs, à présent tu peux le faire toi-même. »« Je t’ai bien injustement jugé tantôt, comment me faire pardonner dis-moi ? »« Il n’y a rien à pardonner, car nous parlions alors en frère et soeur d’armes, pas comme un homme devrait parler à une femme. »Et pour une fois, Adven fut tentée de pleurer.
« Le sort est cruel de t’amener ici quand je suis dans la détresse, tout cela pour m’y replonger de plus belle en t’arrachant à moi. »Et Malik ne put rien dire pour un instant, seulement prendre les mains de la demoiselle de Pelargir dans les siennes ; puis il finit par rire, de ce rire qui est tout comme le son du cor d’Oromë, qui chasse les nuages et le chagrin.
« Adieu jouvencelle qui ressemblait à un garçon d’écuries, je te souhaite une vie longue et heureuse. »Et ils se séparèrent ainsi, pour ne plus jamais se revoir ; mais l’assemblée des queni du Gondor n’oublia pas la fleur des guerriers du Harad, et toujours une place lui fut gardée, à la table du Roi, comme dans le cœur des fidèles du Gondor.
[---]
La légende de Malik Nardu-Inzil est encore longue, et émaillée d’exploits grandioses ; mais la leçon qu’il faut tirer de sa vie est celle que les Ithrin Luin lui ont révélée, et qu’il répéta à la cour du Gondor ; la meilleure défense des hommes face à l’Ennemi est l’humilité, car l’orgueil, qui frappa aussi les Noldor de folie, est le murmure insideux de Morgoth.